INDEX
Le Voleur
Les fenêtres ouvertes, au rez-de-chaussée sur la campagne vierge.
La porte n’existe plus. Juste une embrasure, ouverte au paysage d’herbes blondes. La chambre semble blanche, tout y est révélé, et l’entrée de la maison est libre.
Les arbres, des frênes incroyablement tendres à l’extérieur, inspirent dans un commun frémissement. Les reflets de leurs feuilles, d’un vert inconsistant pastel, se diffractent sur les murs de la chambre. Ils sont des brins d’inconscience, des battements de cils, il y a une présence fébrile, sa présence à lui, le voleur.
Les indices épars de ses fouilles sur fond vierge. Sa présence, d'impertinence, l’infaillible danse du corps dérobé, tout y est, mais rien ne semble crier gare. On n’y voit que du feu, dans mes lieux entrés par lui. On y voit du feu aussi, des flammes blanches, intangibles, irradient la pièce bordée par la campagne. Les murs diffusent l'aube aveuglante, un matin déculotté en douceur.
Dans les coins d’ombre aussi, sa présence pulse, comme une saignée radioactive. Car il est passé, présent, sans doute. Mais sa trace est toute d’absences, trouée de reflets. Sans l’ombre d’un délit.
La porte n'existe plus - l’image de la chambre ouverte comme un appel se plaque sur mes yeux et s’ouvre dans ma tête, soupçonne - il serait caché derrière une autre porte, dans l’évidence, dans le placard. Par les portes battantes il est battu, l’une se soulève pour son appel d’air, comme l’aile d’un cercueil, un battement d’aile qui engage un vol. Le vol du voleur. Le vol du vampire, caché derrière deux portes blanches, deux ailes d’ange puissantes qui le couvent sous leur silence.
Quand il sort il sourit.
Torse à nu, il donne l'air de se rendre, jouant une faille qui est à prendre, et c'est à s'y méprendre, il a peur. Le visage dessiné à la craie frémit d’un rire refoulé, frémit avec les arbres tendres.
Tout en lui est clair et insensé, tout est mensonge et vérité, tout est badin et cruel.
Il n’a rien, rien volé, ai-je seulement quelque chose à prendre, son air me dit : ma raison d’être, c’est traverser l’air qui pétille, faire fondre ma bulle dans le vide, fondre avec elle, et fondre mon sourire, fondre à la fondation du vide, ma fontaine.
Il n’a volé qu’un instant.
Son vol est immanent, peu crédible, son choix, parfait par défaut, semblant-sans-faux. Le vol des instants.
Plus loin, nous pouvons les y voir, batifolant sur le flanc d’une butte : un garçon et une fille, de l’autre côté du miroir, assis dans le paysage. Leurs dos sont badigeonnés de blanc dans le bain de soleil. Avec mes ongles qui sont les leurs, je caresse leurs dos, je passe une couleur, sur leurs corps dont j’ignore s’ils sont conscients des leurres, au ras-du-champ, s’ils ignorent qu’ils sont hors-champ. Ils apparaissent couverts de ça sur le sol de la chambre, identiques au voleur, à cela près qu’ils seraient ignorants.